Vous ne connaissez probablement pas Alphabet si vous ne vous intéressez pas à l’actualité informatique. Mais, vous connaissez sa principale filiale et quelques-uns de ses outils. Vous travaillez sûrement avec ceux-ci quotidiennement. Je veux parler de Google.
Bref historique non objectif
Google a été fondée le 4 septembre 1998 par Larry Page et Sergueï Brin. Ce n’est qu’en 2015 qu’Alphabet a été créée, en vue d’une restructuration de l’entreprise. Google devint alors une filiale d’Alphabet, ce qui n’a fondamentalement rien changé dans les activités des entreprises du groupe.
Notons l’égo sans bornes des fondateurs quant au choix du nom de l’entreprise :
Le nom de la société Alphabet a été choisi car il représente le langage, l’innovation la plus importante de l’humanité qui est au cœur de l’outil de recherche Google
D’aucun me diront qu’ils peuvent se le permettre. Bref.
Les entreprises du groupe
Au-delà de Google et ses marques associées (YouTube, GMail, etc), Alphabet a d’autres cordes à son arc.
Nest Labs
Nest Labs vend des “solutions” domotiques. Un rapide coup d’œil sur le site officiel nous indique qu’en réalité, leur catalogue ne contient qu’une caméra, un détecteur de fumée et un thermostat. Un catalogue pauvre, donc, pour rester poli. En revanche, un certain nombre de partenaires vendent des produits compatibles.
Nest Labs (sous l’égide de Google) a acquis l’entreprise Revolv en octobre 2014. Ces derniers commercialisaient un hub destiné au contrôle de produits domotiques, tels que des ampoules, des portes ou des alarmes. En mai 2015, Google a estimé que ce produit n’était plus digne d’intérêt, et l’a ”délibérément brické”. Un produit vendu près de 300 dollars.
Comme ce hub utilisait le cloud pour son fonctionnement, couper son accès au cloud revient à détruire le produit. Et comme il s’agit d’un produit permettant de gérer certains composants de sécurité de la maison, cela revient à négliger la sécurité des utilisateurs.
Si Google a décidé de supprimer ce produit et les services associés, c’est parce qu’il n’était utilisé que par un “nombre limité” de personnes. Considérant cela, on peut comprendre la stratégie de l’entreprise. Mais, on peut également comprendre la colère des utilisateurs, aussi peu nombreux soient-ils, qui ont dépensé 300 dollars pour rien, et ne reverront jamais leur argent. Argent désormais dans les caisses d’Alphabet.
Alphabet a donc un pied dans la maison des particuliers. Malgré la déconvenue du Revolv, l’application Nest a été téléchargée entre 500 000 et 1 000 000 de fois sur Google Play et jouit d’une réputation positive.
Je considère donc qu’au moins 500 000 personnes n’ont pas conscience que leur thermostat, leur ampoule, leur caméra de surveillance, envoie des données à Google, uniquement pour leur permettre de gérer leur matériel personnel, chez eux, depuis un smartphone, et que si un jour, Google décide de clôturer ces services, ils pourront juste pleurer sur leurs jouets devenus inutilisables. Simplement parce qu’ils n’ont pas compris que le service que leur propose Google n’existe que parce que Google le veut bien.
Mais, c’est Google, alors c’est forcément bien.
Calico et Verily
Ces deux entreprises veulent notamment, respectivement, “tuer la mort” et soigner le diabète. Des projets pour le bien de l’humanité ? Oh, vous ne pouvez pas être naïfs à ce point…
Tout le monde le sait, le marché de la santé est on ne peut plus lucratif. Surtout dans un pays dont l’obésité morbide est aussi prépondérante. Et, qui dit obésité dit (le plus souvent…) diabète.
Or, quand le groupe français Sanofi annonce son partenariat avec Google, c’est pour profiter des technologies développées par Verily. Et du coup, surveiller en temps réel et à distance la glycémie de ses propriétaires, grâce aux produits issus de Verily et notamment leur bracelet connecté. Et accessoirement, revenir dans le vert :
le chiffre d’affaires de sa division diabète affiche un recul de 3,5% au premier semestre 2015 […] En s’alliant avec Google, Sanofi poursuit l’objectif d’améliorer le controle du diabete, afin de développer les ventes du Lantus […] le Français pourra ainsi exploiter les milliards de données de Google afin de mieux cibler les populations concernées
Google, un véritable bienfaiteur, évidemment.
Quant à Calico et son ambition démesurée de “tuer la mort”, il n’y a qu’un pas à franchir pour dire que moins il y a de morts, plus il y a de clients. Mais, on va m’accuser de conspirationnisme.
Google Fiber
Quand on phagocyte les données de millions (milliards ?) d’internautes, la bande passante revient cher. La solution ? Fournir Internet à une partie des utilisateurs. C’est aussi ce que fait facebook d’ailleurs.
Du coup, il n’aurait jamais été aussi rentable d’aspirer la vie privée des gens. Et de leur envoyer des pubs soigneusement ciblées, grâce à…
… X
X, anciennement Google X, est l’entreprise notamment responsable d’AlphaGo et des “pilotes” des Google Cars. C’est elle qui produit les intelligences artificielles utilisées par Google (pas seulement le moteur de recherche).
X, c’est un peu le centre de Recherche & Développement de Google. C’est ici que les Glass ont été créées. C’est également ici que sont envoyées les données collectées, afin d’améliorer leurs IAs. Enfin, “une partie” des données collectées, pour améliorer la “pertinence de la reconnaissance vocale”.
Google Capital, GV, Jigsaw
Capital et GV sont des business angels. Ces entreprises sont destinées à injecter des fonds dans les capitaux d’autres entreprises.
Si Capital s’intéresse surtout aux compagnies financières, aux assurances et aux laboratoires (pas du tout contradictoire…), GV a investi dans un large panel d’activités différentes.
Ainsi, outre plusieurs entreprises publicitaires, on découvre qu’ils ont investi dans Silver Spring Network (fournisseur de services de réseau électrique intelligent), partenaire de… Nest Labs, qui a d’abord été financé par GV avant d’être racheté par Google, et de Toyota pour qui ils ont fourni des bornes de recharge pour la Prius, qui se trouve être justement un des modèles utilisés par les… Google Cars, exactement.
On trouve aussi dans la liste le très controversé Uber.
Mais on trouve également un grand nombre d’entreprises IT, évidemment. Periscope, Slack, Pocket (dont l’intégration dans Firefox a été largement condamné), Optimizely, CoreOS, et bien d’autres encore.
En ce qui concerne les services de réseau électrique intelligent, c’est juste de l’optimisation financière. Injecter de l’argent dans une entreprise partenaire d’une filiale, ce n’est rien de bien méchant.
Par contre, injecter des fonds dans des assurances d’un côté, et des laboratoires de l’autre, c’est de l’hypocrisie capitaliste franchement malsaine.
Le cas des entreprises IT sera traité un peu plus loin parce qu’il représente un gros problème, suffisamment insidieux pour qu’il échappe à tout le monde.
Enfin, Jigsaw est officiellement un incubateur technologique, mais… je vous invite à lire When Google Met Wikileaks, le livre de Julian Assange. Il traite notamment de Jared Cohen, de son étonnante carrière, et de son rôle dans Jigsaw.
Personne ne le connaît. Il est pourtant dans le top 100 des personnes les plus influentes du monde selon le Time Magazine.
Bien qu’officiellement il travaille à l’anti-radicalisation, un certain mystère l’entoure, notamment au sujet de ses activités en Afghanistan en 2009, en plein Cablegate.
Alors pourquoi en faire le président d’un think-tank alors qu’il est carrément issu du milieu politique ? Peut être pour renverser des régimes politiques avec l’aide de la technologie. En fait, avec Jigsaw, Google fait de l’activisme, et veut protéger les lanceurs d’alertes, tels que Julian Assange, en l’occurrence.
Le problème ici est de mélanger technologie, politique et business. Car sous ses airs d’entreprise bienfaitrice, Jigsaw sert d’autres desseins dont on ne connaîtra peut-être jamais la teneur réelle, mais probablement financiers, on s’en doute.
La technologie
Eric Schmidt, président exécutif du groupe, est parfois perçu comme le “ministre des Affaires étrangères” de Alphabet. Il est parvenu à créer un réseau politico-commercial suffisamment puissant pour mettre l’entreprise à l’abri des déconvenues (même lorsqu’elle s’expose à des problèmes juridiques embêtant).
Mais, le véritable coup de maître de l’entreprise est d’être parvenue à se parer d’une aura à toute épreuve. Car alors que chez les geeks, on cherche à se passer de Google, pour la grande majorité du monde, Internet, c’est Google.
Malheureusement, c’est aussi le cas chez les développeurs. Et les experts en sécurité. Et les technologies réseau. Et la virtualisation/containerisation. Bref, dans tous les domaines liés à l’informatique. La capacité financière colossale de Alphabet leur permet d’attirer à eux toutes sortes d’experts, de jeunes passionnés, qui ont de bons projets et d’excellentes capacités pour les concrétiser. Mais, c’est avant tout l’argent qui les attire tous. Rares sont ceux réellement motivés par la technologie en elle-même. Travailler pour Google, ou avec Google, ou se faire racheter par Google, est un accomplissement. Ne pas utiliser les outils de Google est mal perçu, conduit à l’ostracisation, et peut réduire les possibilités d’embauche.
Et, comme Google est omniprésent, omniscient, omnipotent, il est pratiquement inévitable sur Internet. Sans parler du moteur de recherche, ni de GMail, ni de YouTube. Personnellement, je n’utilise rien de tout ça. Je parle du navigateur Chrome, des tablettes et smartphones Android (que je n’utilise pas non plus), de la publicité et des liens sponsorisés, des outils de développeurs et de techniciens, comme Angular, SPDY intégré dans HTTP/2, mais aussi dans nos systèmes d’exploitations et notamment GNU-Linux, etc.
La multiplication de toutes ces technologies Alphabet, partout dans les PC et périphériques mobiles, tisse une toile bientôt inextricable. Mais, malgré les années passées à rabâcher qu’il faut se détourner de Google et exploiter les alternatives, on continue de scier la branche sur laquelle on est assis, en étant persuadés de faire le bon choix. Or, pour toutes les raisons évoquées dans cet article, pour toutes les raisons déjà évoquées maintes et maintes fois, ici et ailleurs, ce choix est le mauvais. Il l’a été dès le début, il l’est toujours, et le sera encore demain.
Conclusion
Si Microsoft était détesté dans les années 90 (et l’est toujours), Google/Alphabet est incontestablement l’entreprise la plus détestable à ce jour. Il aura fallu une dizaine d’années à Microsoft pour se faire détester pour ses manquements à la vie privée. Google la piétine constamment et est toujours acclamé pour ça, presque vingt ans après sa création. Une véritable prouesse ! Même Apple a tenu tête au FBI, alors que l’on ne les a jamais vraiment encensés pour protéger la vie privée de leurs utilisateurs…
Les concurrents de Alphabet sont peu nombreux sur certains marchés clés, comme la téléphonie mobile où la perte de Microsoft n’est pas catastrophique, mais où celle d’Apple le serait, ou les navigateurs Web, où Mozilla peine à maintenir Firefox. Il est capital que ces alternatives existent, et que d’autres voient le jour, faute de quoi Internet ne sera plus réduit qu’à pas grand-chose : beaucoup de publicités, et au milieu, ce que Google veut bien vous laisser voir en fonction de qui vous êtes. Il n’y aura plus la place pour la découverte et la nouveauté. Juste une zone de texte pour votre empreinte de carte bancaire et un bouton vert “Acheter”. C’est vraiment ça que vous voulez ?