Il y a trente-cinq ans, quand j'ai découvert l'Amstrad CPC464 et ce qu'il affichait à l'écran, j'ai été enthousiasmé par les possibilités créatives des ordinateurs. Je me suis mis devant l'Amstrad, j'ai lancé tous les programmes qui passaient entre mes mains, même si je n'en avais aucune utilité. J'ai beaucoup joué, et puis, j'ai découvert que je pouvais créer mes propres programmes. Dès lors, l'informatique était mon monde.
Puis, je suis passé sur PC, et j'ai continué de développer, et surtout, je suis arrivé sur Internet. Je suis arrivé chez moi. Évidemment, on pestait déjà contre Microsoft et son monopole, mais on avait des alternatives, et surtout, on se créait un monde libre. Pas forcément contestataire ou réactionnaire, bien que tirant ses origines dans la contre-culture des années 1960-1970. Simplement basé sur des idées et des concepts communautaires, avec pour idée centrale qu'Internet devait servir à partager des informations et faire se rencontrer des gens intellectuellement compatibles mais géographiquement distants.
Ça a plutôt bien fonctionné pendant quelques années, et je contribuais directement à la croissance de ce nouveau monde, simplement en étant passionné.
Face à l'hégémonie de Microsoft, il fallait opposer des solutions "anti-capitalistes", et c'est ce qu'ont fait le projet GNU et Mozilla (entre autres). Rapidement, Firefox devint le navigateur le plus populaire, devant Microsoft Internet Explorer, et GNU offrait à tout le monde la possibilité d'héberger son contenu, chez lui, sur ses propres serveurs.
La difficulté de faire un Internet vraiment libre a toujours été liée aux premières couches du modèle OSI : l'infrastructure nécessaire pour relier physiquement les habitations a, encore aujourd'hui, un coût prohibitif - financier, temporel et intellectuel - pour que des particuliers seuls le supportent. Cependant, des initiatives ont vu le jour, et certaines sont florissantes, à échelle réduite.
Mais même en admettant que les couches physiques ne soit pas un problème, il y avait un besoin en terme de standardisation. Pour que tout le monde soit présent sur Internet, il faut des standards. Et pour définir ces standards, il faut des représentants. Et à ce jour, les représentants des standards sont définis plus ou moins arbitrairement (...), quand, à l'origine, c'étaient les créateurs du web.
La liberté offerte par Internet pose un problème crucial : nous ne sommes pas organisés. Nous ne sommes pas un pays, nous n'avons pas d'identité juridique globale, commune. Nous sommes comme des marins dans les eaux internationales, naviguant sur des bateaux que nous n'avons pas conçus nous-même, sur des mers qui n'appartiennent à personne. Nous n'avons aucun devoir, aucun droit, aucune structure ni hiérarchie. Alors, ce sont ceux qui font du commerce qui décident ce qui peut être fait ou non, et comment ça doit être fait ou non. Comme un retour aux Compagnies des Indes.
Le romantisme, le fantasme-même de liberté est obsolète. Il a été rendu obsolète par des entreprises privées comme Google qui décident des standards, donc de la façon dont Internet doit fonctionner.
Qui ne s'est pas réveillé un jour, consultant ses actualités informatiques, découvrant par hasard qu'on dispose d'un nouveau protocole de communication sur Internet, définit comme le nouveau standard, ce que tout le monde va utiliser dans les semaines ou mois à venir, et que ce protocole a été créé par Google ? Ou qu'un nouveau langage de programmation est apparu subitement dans la nuit, et que pourtant des millions de "geeks" utilisent déjà à travers le monde, et que ce langage a été créé par Google ? Ou encore, que Google a décidé, du jour au lendemain, de fermer un service pourtant populaire et apprécié ?
Je l'ai déjà dit à de nombreuses reprises, tout le temps depuis que cette entreprise existe mais ce blog reste le seul témoin de ces mises en garde : Google est partout, et on a beau alerter avec véhémence du danger que représente cette entreprise, c'est elle qui décide du fonctionnement d'Internet. Un rôle gagné facilement suite au marchandage d'espaces publicitaires, généreusement distribués à ceux qui voyaient là un moyen de gagner de l'argent sur Internet, qui avait jusqu'alors échappé - plus ou moins - au capitalisme individuel ; on publiait alors par simple plaisir, pas pour s'enrichir, ie on enrichissait le monde plutôt que "s'enrichir" individuellement.
J'ai envie d'accuser Google, mais ça serait trop facile d'accuser une entreprise qui joue le jeu du capitalisme et qui y réussit. J'ai envie de demander : qui a permis à Google de diriger mon monde ? Et là, mon accusation est plus nette.
C'est vous.
Je vous accuse d'avoir introduit une vipère dans mon monde, et de l'avoir nourrie, jusqu'à devenir un colosse divin, tellement immense qu'il en est indestructible, tellement puissant que mon monde n'est plus insouciant, et que ses habitants vivent dans la crainte permanente de ne plus pouvoir y respirer.
Vous, ignorant les avertissements de ceux qui savent, vous stupides usufruitiers d'espaces de vie que vous ne méritez pas, vous avez laissé le Mal s'infiltrer dans nos murs. Vous avez conduit Internet dans un âge sombre, car les années 2020 vont devenir le Moyen-Âge d'Internet par votre faute. Par votre faute, utilisateurs de Google, mon monde s'effondre sans que vous en ayez conscience, sans que en ayez le moindre remord. Chaque fois que vous achetez un téléphone sous Android, que vous développez une application en Go, que vous implémentez http/2 ou http/3, vous venez chez moi prendre une brique de ma maison pour l'édification d'une cité-monde, devant mes yeux impuissants, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien, jusqu'à ce que je n'ai plus de chez moi.
Et vous le faites persuadés d'emmener l'humanité vers le progrès, mais quel progrès, je vous le demande ! Nous parlons d'un monde où un point suffit à dégager en un instant le financement qu'un travail intellectuel d'une vie ne pourrait dégager. Nous parlons d'un monde où un humain imitant un "robot" gagne en une journée l'équivalent d'un ou deux mois de salaire.
Le monde de progrès vers lequel Google nous emmène, grâce à vous, est un monde informatique où l'intellect est sacrifié, où les gens ne sont plus valorisés par rapport à ce qu'ils apportent à l'humanité mais par rapport à une absurdité écervelée nauséabonde emballée dans une couche de plastique.
Je note néanmoins que le problème n'est pas différent de celui du climat, tout en étant moins grave : toutes les preuves mises devant votre nez pour attester de la catastrophe écologique que représentent les véhicules thermiques ne servent à rien face à votre fainéantise, à votre irresponsabilité et à votre égoïsme.
Ainsi, puisque vous n'êtes pas capables d'entendre que vous nuisez aux autres, que ce soit parce que vous utilisez votre voiture pour faire 500 mètres ou parce que vous ne voyez pas le problème d'utiliser Google comme moteur de recherche, faites ce que vous voulez. Vous voulez donner des vues à des gens insignifiants pour qu'ils engrangent de l'argent à Dubaï pour ne pas payer d'impôts en France, soit. Mais arrêtez de vous plaindre. Sérieusement, taisez-vous. Quelqu'un qui détruit un monde qui ne lui appartient pas n'a pas le droit à la parole.
Vous ne savez pas ce que vous avez. Vous ne savez pas comment vous en servir. Vous ne savez pas ce que vos actions ont comme conséquences, ou pire, vous imaginez qu'elles n'en ont pas. Vous ne comprenez pas ce que vous faites, et le bon sens voudrait que vous réfléchissiez avant de faire quelque chose. Pour votre propre bien, si ce n'est pour celui des autres.
Votre égoïsme est nauséabond. J'en ai assez de vous aider, sans autre résultat que l'insulte et le désintérêt. Votre ignorance et votre volonté à la maintenir va détruire mon monde, sans aucun doute, mais il détruira aussi le votre. Et je parie que le jour où ça arrivera, vous serez dans la rue à brûler des pneus et réclamer le retour de la guillotine.
L'humain est une espèce primitive. J'ai honte d'en faire partie.