Sommaire
Si Aristote, au IVème siècle avant notre ère, a été parmi les premiers à proposer une classification des espèces1 contenant cinq cent huit noms d'animaux, distinguant déjà un genre et une espèce, et supposant déjà une certaine forme de hiérarchie, il faudra attendre 1735 pour que Carl von Linné publie Systema Naturae2, où il formalise une classification du vivant, et finira par introduire la nomenclature binomiale dans sa dixième édition. C'est à lui que l'on doit notre nom, Homo sapiens.
Cette nomenclature sera encore améliorée au fil des siècles, et elle est toujours utilisée aujourd'hui. Elle permet désormais davantage d'intermédiaires dans la classification, et certaines espèces peuvent utiliser une notation trinomiale. Par exemple, Canis lupus domesticus, le chien domestique.
La place de l'Homme dans cette nomenclature a nécessité un certain temps avant de faire consensus. À la fin du XVIIIème siècle, les scientifiques n'ont pas encore abandonné les doctrines chrétiennes : dans Systema Naturae, Linné ne fait que "décrire et classer les créations divines"3. Même Buffon, dans son Histoire Naturelle4 datant de 1804 (pour le dernier volume) place l'Humain à part, au sommet de la Création, "au-dessus" de toutes les autres espèces, et il ne faudra rien de moins que la "révolution darwinienne" en 1859 - la publication de L'Origine des Espèces5 par Charles Darwin - pour oublier la Scala Naturae linéaire utilisée jusqu'alors. On passera d'une classification en échelle à une classification arborescente : l'arbre phylogénétique.
Pièce majeure de la littérature scientifique tout en étant accessible à tous, L'Origine des Espèces a provoqué un bouleversement de la conception de la Vie, ses origines, et sa diversification. Darwin théorise la sélection naturelle et l'évolution des espèces, bousculant le dogme de la théologie naturelle alors en vigueur, selon lequel toutes les espèces avaient été créées par Dieu, et qu'elles ne pouvaient donc ni s'éteindre ni apparaître spontanément. Darwin attendra 1871 pour "élargir explicitement sa théorie à l'homme" 6 dans La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe. Sa théorie était si avancée et si éloignée des dogmes religieux d'alors qu'elle ne fut finalement largement admise que dans les années 1930.
Avant cela, et puisqu'ancrés dans la chrétienté, les scientifiques admettaient encore que l'Homme ne pouvait avoir précédé les évènements bibliques. Même l'âge de notre Terre faisait débat. Avant que l'on puisse comprendre et utiliser la radioactivité (découverte par Henri Becquerel en 1896) à des fins de datation, on pensait que la Terre avait entre trois mille et soixante quinze mille ans, même si certains auteurs se sont risqués à proposer un âge de plusieurs dizaines de millions d'années. On doit alors comprendre la confusion des scientifiques qui découvrirent les premiers fossiles de Homo sapiens en 1823 7 et les difficultés, techniques mais surtout sociales, pour les dater correctement.
Mais L'Origine des Espèces avait initié un profond changement qui devait mener à l'abandon définitif des dogmes religieux dans les sciences. Quand finalement, en 1931, on a reconnu la supériorité de la datation radiométrique8, il n'était plus envisageable de considérer l'Humain comme une espèce à part. On avait désormais tous les éléments en main pour le placer convenablement dans l'arbre du Vivant:
- L'âge de la Terre se chiffrait en milliards d'années
- Les fossiles humains (et d'autres espèces) purent être datés avec précision, et certains étaient antérieurs aux temps bibliques
- Établissant la parenté avec les primates, on admit l'existence d'autres espèces d'Humains, notamment Homo neanderthalensis, l'Homme de Néandertal, déjà découvert en 1829, mais qu'on refusait alors de considérer comme une espèce distincte de la notre9
Si nous disons encore, vulgairement et avec dédain, que l'Homme descend du Singe, c'est en réalité un peu plus compliqué. Aristote proposait la théorie de la génération spontanée dans son Organon10, selon laquelle les larves de mouche apparaîtraient spontanément sur la viande en décomposition, les souris naîtraient dans les tas de linges sales, et les mites sur la laine. Une théorie encore soutenue par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805 - 1861) (à l'origine de l'éthologie, dont on reparlera plus tard) et Jean-Baptiste de Lamarck (1744 - 1829) (qui théorisa l'évolution des espèces juste avant Darwin). Mais elle fut finalement prouvée fausse par Louis Pasteur au XIXème siècle: il montra, grâce au procédé de la pasteurisation, que ce qu'on pensait alors apparaître spontanément était en fait déjà là, sous la forme d’œufs ou de germes.
Aujourd'hui, les scientifiques s'accordent à dire que toute la vie actuelle découle d'une vie antérieure, qui est devenue progressivement plus complexe et s'est diversifiée grâce au mécanisme d'évolution par sélection naturelle décrit par Charles Darwin.11
Techniquement, l'Histoire de l'Homme est celle de toute créature vivante sur Terre, dont le DACU, le Dernier Ancêtre Commun Universel 12: s'il n'est pas encore clairement identifié, on sait néanmoins qu'il est à l'origine des trois domaines du Règne Animal dans l'arbre du Vivant: les Bactéries, les Archées et les Eucaryotes, et qu'il est apparu il y a entre 3,3 et 3,8 milliards d'années.
Ainsi, l'arbre phylogénétique permet le classement des espèces, tout en faisant apparaître leurs liens de parenté. Chaque "branche" de cet arbre, appelé "clade", défini les caractéristiques des espèces qui y appartiennent.
La phylogénie spécifique à Homo sapiens apparaît donc sous la forme d'une liste de clades présentée dans le tableau suivant, du clade le plus spécifique au plus général:
Clade | Description |
---|---|
Homo | Nous, H. neanderthalensis, H. erectus, H. ergaster, etc. Nous sommes la dernière espèce du genre. |
Hominina | Lignée humaine, incluant les australopithèques, les paranthropes, etc. |
Hominini | Hominina et Panina (chimpanzés) |
Homininae | Hominini et Gorillini (gorilles) |
Hominidae | Homininae et Ponginae (orang-outans) |
Hominoidea | Singes sans queue, "grands singes". |
Catarrhini | Nez orienté vers le bas. |
Simiiformes | Singes. Occlusion arrière des globes oculaires. |
Haplorrhini | Nez simple: ces Animaux n'ont plus de truffe ni de vibrisses (moustaches). |
Primates | Singes, lémuriens |
Euarchontoglires | Primates, rongeurs, toupayes |
Boreoeutheria | Euarchontoglires et Laurasiathériens (incluant les chiens, les chats, les cétacés, les chauve-souris, les taupes, etc.) |
Placentalia | Mammifères dotés d'un placenta (et donc, qui accouchent de leur progéniture) |
Eutheria | Tout mammifère placentaire et non marsupiaux |
Theria | Mammifères placentaires et marsupiaux |
Mammalia | Animaux allaitant leur petits |
Tetrapoda | Animaux comportant deux paires de membres et dont la respiration est normalement pulmonaire |
Gnathostomata | Animaux vertébrés à mâchoire |
Vertebrata | Animaux vertébrés (dotés d'une colonne vertébrale) |
Chordata | Animaux dotés d'un squelette interne |
Deuterostomia | Animaux dotés d'un pharynx percé de fentes |
Nephrozoa | Animaux dotés de reins |
Bilateria | Animaux dotés d'un côté gauche et d'un côté droit (excluant donc les méduses et les éponges de mer) |
Animalia | Tous les animaux |
Eukaryota | Tous les organismes dont la ou les cellules comporte(nt) un noyau |
Ce tableau nous montre que nous ne descendons pas que du singe, qu'il y a une variété d'Animaux entre le DACU et les singes, et doit donc nous indiquer la faible proportion qu'occupe l'Humain dans l'arbre phylogénétique, d'autant qu'il manque probablement un certain nombre de clades intermédiaires dépendant de découvertes génétiques encore à venir. Une autre représentation de l'arbre phylogénétique met cela en évidence de façon beaucoup plus nette: Eukaryota est la partie en rose du disque représentant les trois Règnes du Vivant, Homo sapiens étant représenté sur la droite de cette section (détail ci-dessous).
La science émancipée de la religion ne place plus Homo sapiens au cœur du Règne du Vivant, place désormais dédiée au DACU. L'héritage religieux et culturel de l'humain continue pourtant de fausser notre perception de nous-même au sein de cet ensemble. Nous avons pris tant de place dans les écosystèmes qu'intuitivement, nous pensons toujours que notre espèce est au sommet de toute statistique que nous pourrions établir sur le Vivant. Pour la phylogénie, et ne considérant que la biosphère Terrestre, nous ne sommes qu'une espèce parmi des dizaines de millions13, rien que chez les eucaryotes. Imaginez, dans l'arbre du Vivant circulaire que nous venons de voir, et gardant à l'esprit qu'il est très partiel, combien d'espèces peuvent représenter la zone en bleu. Imaginez maintenant que la Vie existe ailleurs dans l'univers, possiblement sur des millions de planètes, et vous aurez une vague idée de la position de notre espèce dans l'Arbre du Vivant, à supposer que nous ne découvrions pas de nouveaux domaines du Vivant en plus des trois représentés ici.
Aristote, Histoire des animaux d’Aristote, traduite en français... par J. Barthélemy-Saint-Hilaire..., trad. Jules Barthélemy-Saint-Hilaire (Paris : Hachette, 1883). ↩
Carl von Linné, Systema naturae per regna tria naturae : secundum classes, ordines, genera, species cum characteribus, differentiis, sinonimis, locis. Tomus 1 / [Pars 1] / Caroli a Linné, 1768. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99004c ↩
Contributeurs Wikipédia. « Systema naturae (Trois règnes de la création divine) », Wikipédia, septembre 2020. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Systema_naturae&oldid=174780036#Trois_règnes_de_création_divine ↩
Georges-Louis Leclerc Buffon, Histoire naturelle, générale et particuliére, 1804. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10672243 ↩
Charles Darwin, De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés (3e édition) / par Ch. Darwin ; traduction de Mme Clémence Royer avec préface et notes du traducteur, 1870. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6564680d ↩
Catherine Delyfer, La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe / Charles Darwin, sous la dir. de P. Tort et M. Prum (Institut Charles Darwin international, 1999). https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03076785 ↩
Oxford Museum of Natural History. « The ’Red Lady’ of Paviland Oxford University Museum of Natural History »consulté le 23 janvier 2021. https://oumnh.ox.ac.uk/red-lady-of-paviland-0 ↩
Ce n'est qu'en 1950 qu'on a commencé à utiliser la datation au carbone 14, mais les modèles mathématiques reposant sur la désintégration isotopique étaient déjà reconnus plus fiables que n'importe quelle autre méthode disponible alors. ↩
Contributeurs Wikipédia. « Homme de Néandertal (Une découverte controversée) », Wikipédia, janvier 2021. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Homme_de_Néandertal&oldid=178701916#Une_découverte_controversée ↩
Aristote. « Organon - Wikisource »consulté le 23 janvier 2021. https://fr.wikisource.org/wiki/Organon ↩
Contributeurs Wikipédia. « Origine de la vie », Wikipédia, janvier 2021. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Origine_de_la_vie&oldid=178940889 ↩
Contributeurs Wikipédia. « Dernier ancêtre commun universel », Wikipédia, décembre 2020. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Dernier_ancêtre_commun_universel&oldid=177774469 ↩
Serge Frontier et al., Écosystèmes, 2008. https://www.dunod.com/sciences-techniques/ecosystemes-structure-fonctionnement-evolution ↩