Sommaire
Au cours du temps, et en l'état actuel de nos connaissances, on dénombre pas moins de quatorze1 espèces du genre Homo. La plus récente, et probablement la plus connue du grand public, est donc Homo neanderthalensis, espèce disparue il y a environ trente mille ans seulement. H. sapiens et H. neanderthalensis (entre autres) se sont partagés la planète pendant environ trois cent mille ans, âge du plus ancien fossile connu de Homo sapiens2.
Cela peut paraître long. Après tout, la chute de Rome date d'il y a mille six cents ans environ. Et la Révolution Française a eu lieu il y a moins de deux cent cinquante ans. Pourtant, à l'échelle des temps, c'est peu. Car si Homo sapiens existe depuis trois cent mille ans, de nombreuses espèces ont vécu bien plus longtemps, même en ne considérant que le genre Homo : H. erectus a vécu pendant près de deux millions d'années3, dont les dernières deux cent mille à nos côtés, ce qui signifie que H. erectus a foulé "notre" sol près de trois fois plus longtemps que nous.
Et pourtant, cela reste encore peu, comparé aux dinosaures par exemple, qui ont dominé notre planète pendant presque deux cent millions d'années, donc cent fois plus longtemps que H. erectus, plus de trois cent fois plus longtemps que nous. Et si cela ne suffit pas à établir la jeunesse de notre espèce, considérons les bactéries, premières formes vivantes connues et toujours actives, qu'on estime être apparues il y a trois milliards quatre cent soixante millions d'années.
Les plus jeunes n'ont que les livres d'histoires pour cultiver la mémoire de la Révolution Française, ou de la Guerre Civile Américaine, ou de la libération de l'Inde. On imagine le Moyen-Âge comme un vague monde sombre, distant, très ancien, primitif. Et dans l'imagerie populaire, Cro-Magnon est un vieux parent dont on ne sait rien sinon qu'il vivait dans une caverne, alors qu’en réalité, c'est un Homo sapiens, tout comme nous, dont les fossiles ne datent que de quarante-cinq mille ans au plus.
La géochronologie est une discipline scientifique permettant d'utiliser les différentes couches rocheuses pour dater avec précision les évènements survenus sur Terre. L'International Commission on Stratigraphy4, subordonnée à l'International Union of Geological Sciences5, est en charge d'établir une échelle des temps géologiques codifiée, y compris la couleur représentant chaque période de temps. Cette échelle offre un référentiel temporel commun à d'autres disciplines, notamment la paléontologie.
De la même manière que la phylogénie permet de construire un "arbre du Vivant", la géochronologie nous permet de construire un "arbre des temps géologiques", dont les ramifications ne cessent de se multiplier au fil des découvertes. On a précédemment établi la phylogénie de Homo sapiens, d'abord dans un tableau, puis dans l'Arbre du Vivant ; nous allons faire de même avec son Histoire, de l'unité géochronologique la plus récente à la plus ancienne.
Unité géochronologique | Début | Point de départ |
---|---|---|
Méghalayen | -4'200 | Débutée par une période de forte aridité, ayant peut être conduit à la disparition de certaines civilisations comme l'Ancien Empire Egyptien, l'Empire Akkad, ou Liangzhu en Chine |
Holocène | -11'700 | Début du dernier réchauffement climatique naturel |
Quaternaire | -2'588'000 | Retour des glaciations |
Cénozoïque | -66'000'000 | Extinction du Crétacé |
Phanérozoïque | -541'000'000 | Émergence de formes de vie complexes, tels les trilobites |
Naissance de la Terre | -4'600'000'000 |
Voyons maintenant quelle place occupent ces différentes divisions dans l'Histoire de la Terre. Nous placerons différents jalons sur ces graphiques afin de pouvoir nous repérer.
On peut déjà voir sur ce premier graphique, représentant l'époque de l'Holocène, le rapport temporel entre l'Antiquité (définie par les historiens français comme étant la période démarrant à -3000 av. J.-C. et finissant à la chute de l'Empire Romain) et notre époque moderne (démarrant avec la découverte des Amériques en 1492). Même le Moyen-Âge parait bien court.
Ce second graphique nous montre que la plupart des espèces du genre Homo sont apparues lors du Pléistocène, précédant l'Holocène. Il montre la faible proportion temporelle de l'Holocène au sein de la période du Quaternaire qu'on distingue à peine sur l'extrémité droite. Pourtant, nous allons voir que même le Quaternaire est une période bien courte à l'échelle des temps géologiques.
Au lendemain de la catastrophe du Crétacé, qui causa l'extinction de plus de la moitié des espèces vivantes dont les dinosaures, la Vie a repris, au profit des mammifères et des oiseaux qui ont connu, lors du Paléogène et du Néogène, une prospérité qu'ils conserveront, pour la plupart, jusqu'à l'Holocène. Le Néogène vit d'ailleurs l'apparition de nos plus anciens ancêtres - ou cousins - connus jusqu'ici: Sahelanthropus tchadensis et Australopithecus afarensis, dont les représentants les plus connus sont respectivement Toumaï (découvert par le paléontologue français Michel Brunet en juillet 2001) et Lucy (découverte par une expédition internationale en 1974, à laquelle ont notamment participé Donald Johanson, paléoanthropologue américain, et les français Maurice Taieb - géologue - et Yves Coppens - paléontologue). La flore s’épanouit, sous forme de plantes herbacées, de ginkgos, d'eucalyptus, mais aussi les créatures marines (telles que les premières baleines et espadons), les insectes et les oiseaux, notamment ceux inaptes au vol et/ou géants.
Nous venons de couvrir les dernières soixante six millions d'années, depuis l'extinction des dinosaures. Continuons donc notre exploration du temps en voyant la place occupée par le Cénozoïque au sein de l'éon du Phanérozoïque.
Cette période a connu deux extinctions massives en relativement peu de temps: celle du Permien-Trias et celle du Trias-Jurassique. Pourtant, elle fut l'hôte des plus grandes créatures ayant jamais foulé le sol de la Terre, celui-là même où vous pourriez avoir construit votre maison, ou là où se trouve la route que vous empruntez. Elle a également connu de grandes diversifications du Vivant, notamment des dinosaures qui ont vécu pendant près de deux cents millions d'années, mais aussi de la faune aquatique, et de la flore terrestre.
Mais il nous reste encore un dernier graphique à observer pour compléter notre bref aperçu des temps géologiques.
Ces graphiques nous montrent bien la fugacité de notre espèce, et même de notre lignée, mais ils ne témoignent pas de l'activité réelle de la Vie au cours des Âges. Nous avons l'impression que l'Histoire de l'Homme ne devient très riche qu'à partir du Moyen-Âge, ou du Siècle des Lumières, voire à partir de l'industrialisation. Ce sentiment nous incite à croire en un certain calme passé, vaguement ponctué de quelques extinctions de masse, des dinosaures, et d'autres choses mais rien d'aussi riche que l'Histoire de l'Homme. Je suppose que ce sentiment s'explique d'une façon ou d'une autre, même si je ne peux étayer ces propos par des données scientifiques. Mais ce que j'aimerais mettre en avant ici, c'est qu'au contraire, notre Histoire est extrêmement courte par rapport à celle de la Terre, ou même par rapport aux premières espèces vivantes, et au DACU, et sa richesse ne peut en rien être comparée à celle des quatre milliards d'années qui nous ont précédé.
Bien sûr, être une espèce jeune n'implique pas nécessairement de tout recommencer. L'évolution des espèces nous permet de nous appuyer sur tout ce que les espèces ayant précédé et ayant été contemporaines de H. sapiens nous ont appris. L'utilisation des outils, la domestication du feu, l'industrie lithique et même l'art, tout cela a contribué à ce que nous soyons aussi avancés que les autres espèces humaines à peu près au moment de notre apparition. Si nous n'avions pas été contemporains de H. neanderthalensis (et d'autres espèces telles que l'Homme de Denisova), si nous avions été isolés comme a pu l'être H. floresiensis6, peut être que nous aurions connu le même destin. C'est parce que H. neanderthalensis (entre autres) a partagé sa culture avec nous que nous nous considérons comme l'espèce dominante aujourd'hui, une considération qu'il est facile d'avoir lorsque nous sommes les derniers représentants d'un genre entier.
Il aurait été réellement très intéressant de voir comment nos sociétés auraient évolué si, de nos jours, il existait encore d'autres espèces parmi le genre Homo. Bien des choses auraient probablement été différentes, en particulier si l'on considère que nous sommes à l'origine de la disparition de certaines d'entre elles. C'est, du moins, la théorie que je soutiens, en dépit de la théorie de la catastrophe de Toba7, qui suppose plutôt une réduction drastique des populations de l'ensemble genre Homo à cause de l'éruption massive du volcan du même nom.
Car notre espèce, H. sapiens, a eu un impact considérable sur les autres membres du genre Homo. En fait, malgré la jeunesse de notre espèce, nous avons un impact considérable sur toutes les espèces, puisque nous avons déjà causé l'une des six extinctions massives dont la biosphère a été victime depuis que la Terre abrite la Vie. En effet, si la plus connue est probablement celle du Crétacé-Paléogène, il y a soixante six millions d'années et qui causa la disparition de la moitié des espèces vivantes (dont les dinosaures), nous sommes responsables - au moins en partie - de l'extinction de l'Holocène depuis dix mille ans. C'est la seule extinction massive due à une espèce particulière, les autres extinctions étant toutes imputées à des causes naturelles.
Je soutiens une théorie "mixte" concernant l'extinction du genre Homo (à l'exception de H. sapiens): nous avons absorbé la culture des autres espèces du genre Homo qui nous ont été contemporaines et avec qui nous étions en contact fréquent, donc principalement H. neanderthalensis en Europe, H. floresiensis aux Philippines, H. erectus en Asie et en Afrique. Par "absorption" de leur culture, j'entends que pendant quelques temps, nous avons appris de ces espèces, nous avons perfectionné ces connaissances, sans toutefois leur transmettre ces perfectionnements, tout en absorbant leur génome dans le même temps (par hybridation).
H. sapiens a domestiqué le chien il y a environ quarante mille ans, coïncidant avec la disparition de H. neandethalensis. C'est, pour l'anthropologue Pat Shipman, ce qui a permis à H. sapiens de prendre l'ascendant sur H. neanderthalensis8: le loup devenu chien lui a conféré un avantage considérable dans son approvisionnement en viande - en particulier des grands herbivores de l'époque et notamment des mastodontes. Nous ne disposons d'aucun indice attestant de la domestication du chien chez les autres espèces du genre Homo, ce qui pourrait laisser entendre que H. sapiens n'a pas transmis son savoir, se réservant les meilleures techniques de chasse, contribuant ainsi à la réduction des populations des autres espèces de façon "passive", engendrant de la consanguinité, et finalement, l'extinction.
Il y aurait aussi contribué de manière active: pas par élimination (puisqu'on ne trouve aucune trace de violence physique dans leurs fossiles), mais par hybridation, soit qu'elle ait entraîné une baisse de la fertilité chez les autres espèces, soit qu'elle ait contribué à noyer leur génome dans le notre. L'hybridation est une autre des théories actuellement envisagées par le paléontologue finlandais Björn Kurtén (1924 - 1988) dans le roman de paléo-fiction Dance of the Tiger9.
En sus de ces hypothèses, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de trouver des causes différentes à l'extinction des autres espèces du genre Homo qu'aux autres espèces disparues au cours de l'Holocène. Nous sommes directement responsables de l'extermination des grands Animaux (ce qu'on appelle la Mégafaune, notamment les mammouths, mais aussi les grands félins et oiseaux), que ce fut par chasse, ou par leur déplacement à notre convenance, ce qui perturba grandement certains écosystèmes. Nous sommes directement responsables, encore aujourd'hui, de la destruction des forêts, rendue nécessaire par la découverte puis l'étalement de l'agriculture, que l'on réduit par des incendies volontaires (l'écobuage) - un phénomène que l'on atteste en Chine il y a huit mille ans déjà - ou simplement par nos besoins en matière de construction.
Il est probablement compréhensible que nous n'assumions pas en être responsable, surtout si l'on met ce comportement en parallèle avec les croyances que nous avons cultivé et avec le commerce que nous avons développé, nous donnant un sentiment de légitimité. Nous restons, malgré tout, et encore aujourd'hui, dans l'incapacité de concilier l'orientation économique que notre espèce a choisi et la survie des autres. Si, dans l'Antiquité, la religion parlait davantage aux populations que la science, l'argent est la religion d'aujourd'hui, et nous encourage à poursuivre notre œuvre de destruction, et nous rend sourds aux appels d'urgence de la science. Car si mon hypothèse n'est malheureusement pas vérifiable en l'état actuel de nos connaissances, on a pu en revanche constater les effets dévastateurs de l'économie à notre échelle de temps. Il est plus que probable que nous ayons contribué à l'extinction des autres espèces du genre Homo, mais il est absolument certain que nous avons directement contribué à l'extinction ou la quasi-extinction de beaucoup d'espèces10, tant Animales que Végétales et Fongiques. Telle est notre place dans l'Histoire de la Terre.
Le postulat de cet essai est que nous sommes plus primitifs que nous le pensons. Nous venons de voir que notre espèce est jeune, et qu'elle n'est devenue dominante que suite à l'absorption de la culture d'autres espèces que nous avons fini par faire disparaître. Cela prouve, certes, un certain type d'avance intellectuelle sur nos anciens congénères, mais cela prouve également notre primitivisme: si nous avions partagé avec les autres cultures (comme l'a fait H. neanderthalensis ou l'Homme de Denisova avec nous) au lieu de les absorber, nos civilisations respectives s'en trouveraient sûrement beaucoup plus avancées aujourd'hui. Au lieu de cela, nous en sommes devenus les uniques représentants dans un égoïsme rare, peut être unique parmi le genre Homo.
Voyez de quoi H. sapiens est responsable ces vingt mille dernières années: l'invention de l'écriture, la fondation de Rome, deux guerres mondiales, la démocratie, une puissante industrie, une culture rayonnante, une extinction massive, la colonisation de tous les continents, l'énergie solaire, les satellites, la bombe atomique, etc. Imaginez maintenant ce qui aurait pu être créé et découvert si H. neanderthalensis, H. floresiensis ou H. denisovensis avaient pu continuer à partager la planète avec nous pendant deux cent mille ans, si vous avions partagés nos cultures, notre intelligence, nos connaissances, au lieu de simplement nous les approprier.
Nos sociétés actuelles s'en seraient retrouvées plus grandes, plus fortes, et, pour finir, plus évoluées. Je crois, quoiqu'il en soit, que si plusieurs espèces d'humains existaient encore de nos jours, notre perception du monde serait bien différente. Ou bien nous n'aurions pas plus de considération pour ces autres espèces que nous en avons pour les chimpanzés, pourtant espèce génétiquement la plus proche de la notre, et que nous les aurions simplement placés dans des cages avec du foin...
Rémi Pin. « Combien d’espèces d’Homo sont à ce jour recensées par les chercheurs ? », L’Homme en questions - Musée de l’Homme consulté le 24 janvier 2021. http://lhommeenquestions.museedelhomme.fr/fr/combien-especes-homo-sont-jour-recensees-chercheurs ↩
Jean-Jacques Hublin et al. « New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens », Nature 546, nᵒ 7657 (juin 2017) : 289‑92. https://doi.org/10.1038/nature22336 ↩
Laurent Sacco. « Homo erectus est apparu au moins 200.000 ans plus tôt qu’on ne le pensait », Futura consulté le 24 janvier 2021. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/paleontologie-homo-erectus-apparu-moins-200000-ans-plus-tot-quon-ne-pensait-80433/ ↩
H. floresiensis semble avoir été endémique de l’île de Florès. Son caractère insulaire a probablement été la cause de sa disparition. Voir P. Brown et al., « A new small-bodied hominin from the Late Pleistocene of Flores, Indonesia », Nature 431, nᵒ 7012 (octobre 2004) : 1055‑61. https://doi.org/10.1038/nature02999 ↩
Contributeurs Wikipédia. « Théorie de la catastrophe de Toba », Wikipédia, 2020. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Théorie_de_la_catastrophe_de_Toba&oldid=171002413 ↩
Maxime Lambert. « La domestication du chien aurait-elle aidé sapiens à supplanter Néandertal ? », Maxisciences, 2012. https://www.maxisciences.com/chien/la-domestication-du-chien-aurait-elle-aide-sapiens-a-supplanter-neandertal_art24454.html ↩
Björn Kurtén, Dance of the tiger: a novel of the Ice Age (Berkeley : University of California Press, 1995) ↩
Contributeurs Wikipédia. « Chronologie des extinctions au cours de l’Holocène », Wikipédia, décembre 2020. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Chronologie_des_extinctions_au_cours_de_l'Holocène&oldid=177996399 ↩