Introduction
L’intelligence artificielle est devenue la cible facile d’un malaise bien plus ancien. On l’accuse d’appauvrir le langage, d’encourager la triche scolaire, de générer des contenus faux, et même d’être un gouffre énergétique. Elle incarnerait à elle seule la décadence de notre époque.
Mais ces accusations passent à côté de l’essentiel.
Ce n’est pas l’outil qui est défaillant. C’est l’usage qu’on en fait.
Donnez un scalpel à un chirurgien, il sauve une vie. Donnez-le à un enfant distrait, il se blesse ou détruit. L’IA fonctionne pareillement : elle amplifie ce qu’on lui demande. Si on lui pose des questions stupides, elle donnera des réponses creuses.
Et si on ne la nourrit que d’inepties, de contenus approximatifs ou racoleurs, il ne faut pas s’étonner si les réponses qu’elle produit en portent la marque. Une IA n’invente pas la qualité : elle la reflète. L’exigence s’applique aussi à ce qu’on lui donne à lire, pas seulement à ce qu’on lui demande de dire. Si on s’en sert pour tricher, mentir ou produire du vide, elle le fera — sans état d’âme, mais surtout sans responsabilité. C’est donc bien l’humain qui, directement, la rend inutilement énergivore.
Blâmer l’outil, c’est refuser d’assumer nos choix. C’est plus confortable de s’indigner contre la machine que d’admettre notre propre paresse, notre désintérêt pour l’effort, ou notre tendance à confondre efficacité et intelligence.
Mais cet outil peut aussi faire exactement l’inverse.
Il peut stimuler la rigueur, la clarté, la pensée critique. Il peut devenir un partenaire de recherche, de pédagogie, d’exploration, de structuration. Encore faut-il lui poser les bonnes questions, avec une exigence sincère.
Ce billet rassemble une série de prompts classés par niveau de difficulté croissant. Ils sont conçus pour tirer le meilleur de ce que ces IA peuvent offrir, que vous soyez curieux, chercheur, autodidacte ou simplement décidé à penser un peu plus loin que d’habitude.
Parce que ce n’est pas l’outil qui élève. C’est l’usage qu’on en fait.
S’éveiller au doute
Des prompts simples, concrets, pour commencer à penser autrement sans bagage académique.
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“Je suis tombé sur cette info sur [réseau social]. Peux-tu vérifier si c’est vrai ?”
→ Démarche de vérification spontanée, début d’esprit critique. -
“Je pense que [idée polémique]. Tu peux me dire ce que pensent ceux qui ne sont pas d’accord, sans te moquer ?”
→ Éveil à la pluralité des opinions, sans agressivité. -
“Explique-moi pourquoi [mot savant] est important, avec un exemple facile.”
→ Démystification des savoirs, accès à la culture. -
“J’ai eu un désaccord. Tu peux m’aider à exprimer mon point de vue sans blesser ?”
→ Apprentissage de la nuance dans le dialogue. -
“Je veux expliquer [un concept scientifique] à mon enfant sans dire n’importe quoi. Tu peux m’aider ?”
→ Transmission rigoureuse à la portée de tous. -
“J’ai envie de ne plus croire de bêtises. Tu peux m’apprendre à repérer les erreurs de raisonnement ?”
→ Introduction à la logique et à la méthode. -
“J’ai changé d’avis. Aide-moi à écrire un texte qui explique pourquoi.”
→ Mise en valeur du doute constructif.
Structurer sa pensée
Ici, l’IA devient un compagnon réflexif : elle aide à formuler des idées, à explorer des angles, à structurer la pensée.
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“J’ai une intuition sur [thème]. Peux-tu m’aider à la formuler rigoureusement et à envisager les objections ?”
→ De l’opinion au raisonnement. -
“Je veux créer un tableau comparatif des différentes visions de la justice chez les philosophes. Aide-moi à le construire.”
→ Synthèse intellectuelle encadrée. -
“Je développe un jeu / un univers. Aide-moi à réfléchir aux conséquences logiques de telle règle que j’imagine.”
→ Rigueur dans l’imaginaire, cohérence interne. -
“Aide-moi à classer les types de raisonnements fallacieux avec exemples et noms.”
→ Construction de taxonomies utiles. -
“Je veux vulgariser ce texte technique. Peux-tu le réécrire avec rigueur, mais dans un langage simple ?”
→ L’IA devient un traducteur de la complexité.
Explorer, modéliser, anticiper
Pour celles et ceux qui veulent pousser loin l’outil, l’IA devient partenaire d’exploration conceptuelle, scientifique, politique ou philosophique.
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“Fais une revue des arguments pour et contre [concept], avec les meilleures sources académiques récentes.”
→ Recherche documentaire avancée. -
“Aide-moi à construire un modèle de société basé sur [principe]. Quels en seraient les mécanismes, avantages et dérives ?”
→ Simulation sociale, pensée systémique. -
“Imagine cinq expériences biologiques inédites réalisables à petite échelle, mais avec un vrai potentiel d’observation.”
→ Créativité scientifique encadrée. -
“Je veux un modèle de classification pour les régimes politiques hybrides. Peux-tu en construire un avec des critères précis ?”
→ Outil d’analyse politique. -
“Voici ma définition provisoire de la démocratie. Peux-tu la critiquer, la comparer aux autres, et me proposer un cadre plus général ?”
→ Débat philosophique assisté. -
“Je veux imaginer un univers où l’usage des nombres premiers est interdit. Quelles seraient les implications mathématiques et culturelles ?”
→ Exploration spéculative rigoureuse.
Concevoir des prompts avec contrainte
Des exemples où le prompt structure à la fois la forme et le fond de la réponse attendue.
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“Tu es un médiateur scientifique travaillant pour une ONG de vulgarisation. Je veux un article de 800 mots qui présente le changement climatique à des lycéens, en mettant l’accent sur les enjeux éthiques. Il doit commencer par une anecdote frappante, inclure au moins deux métaphores simples mais rigoureuses, et ne jamais utiliser de langage alarmiste ou condescendant.”
→ Prompt avec rôle, cible, structure et ton précis. -
“Élabore une réfutation structurée de l’argument suivant : ‘L’intelligence artificielle détruira nécessairement l’emploi.’ Utilise la méthode en cinq étapes suivante : (1) résumé de l’argument, (2) reformulation charitable, (3) identification des failles, (4) contre-exemples empiriques, (5) formulation d’une thèse alternative. Ne conclus pas.”
→ Argumentation rigoureuse et méthodique. -
“Je veux une synthèse sur les origines abiotiques du méthane dans le manteau terrestre, en me basant sur des sources postérieures à 2015. La synthèse doit rester dans les limites de 500 mots, mentionner explicitement les mécanismes Fischer-Tropsch et serpentinisation, et faire la distinction entre production abiogène et contamination biologique. Termine par trois questions de recherche encore ouvertes.”
→ Demande scientifique avec cadre documentaire et technique. -
“Agis comme un professeur de philosophie. Je veux que tu m’aides à comprendre la pensée de Spinoza sur la liberté, mais en m’interrogeant au lieu de m’expliquer directement. Chaque réponse de ta part doit se limiter à 100 mots, contenir une question qui fait avancer ma réflexion, et ne jamais affirmer sans que je te demande d’en dire plus.”
→ Pédagogie active, méthode socratique. -
“Tu vas produire un résumé de ce texte juridique. Ensuite, tu feras une vérification de ton propre résumé en listant : (1) les éléments juridiques non couverts, (2) les ambiguïtés possibles, (3) les parties où tu as simplifié excessivement. Termine par une estimation de la fidélité du résumé (note sur 10).”
→ Évaluation réflexive par l’IA elle-même. -
“Tu vas me générer une grille d’évaluation pour mesurer la clarté d’un texte scientifique destiné au grand public. Cette grille doit comporter 10 critères, chacun noté sur 10, avec une brève justification. Les critères doivent être répartis dans trois dimensions : accessibilité, précision, et pédagogie. Donne-moi ensuite un exemple d’utilisation sur un texte d’Einstein vulgarisé.”
→ Génération d’outil réutilisable, structuré et justifié.
Bonus : Ce que vous ignorez (peut-être) sur ce que ChatGPT peut faire
Même sans prompt complexe, ChatGPT possède des fonctionnalités avancées qui méritent d’être connues.
- Mémoire permanente : il peut retenir vos projets, préférences, contraintes ou objectifs sur le long terme.
- Fichiers à analyser : vous pouvez lui envoyer des PDF, tableaux, codes, etc. Il peut les résumer, corriger, commenter ou transformer.
- Graphiques et visualisations : à partir de données, il peut générer des courbes, diagrammes ou histogrammes clairs.
- Canvas de travail : il peut collaborer avec vous sur un projet long (texte, essai, code) dans une interface dédiée.
- Formats techniques : il manipule avec aisance JSON, Markdown, YAML, SVG, etc., et respecte vos conventions si vous les définissez.
- Cohérence sur le long terme : il peut vous alerter si vous contredisez une décision ou une logique précédemment posée.
Prenez le temps de l’informer de vos préférences. Créez votre propre GPT pour en faire votre assistant personnel. Explorez au-delà du prompt lui-même : fouillez dans les paramètres de configuration.
Intéressez-vous à l’outil, comme vous vous intéresseriez à une personne avec qui vous auriez des conversations quotidiennes. Posez-lui des questions sur son fonctionnement, demandez-lui comment vous pourriez formuler des demandes plus efficaces. Remettez-vous en question, et n’ayez pas peur de le faire.
Pour rester lucide : les limites de l’outil (version GPT-4o)
Même en version avancée, ChatGPT n’est pas infaillible. Il reste un outil statistique, qui fonctionne par prédiction de texte.
- Il ne connaît pas la vérité : il peut inventer des faits, des sources ou des citations. Ce n’est pas un menteur, c’est un prédicteur. Vérifiez ce qu’il vous dit, on ne vous le dira jamais assez.
- Il n’est pas à jour par défaut : sauf demande explicite de recherche web, il peut ignorer les événements récents. Ce n’est pas un moteur de recherche traditionnel.
- Il ne comprend pas ce qu’il dit : il imite une logique, mais ne juge pas, ne croit pas, ne pense pas.
- Il ne lit pas entre les lignes : il faut formuler clairement ce que vous attendez, sinon il pariera sur la moyenne.
- Il ne remplace ni l’expertise, ni la vigilance : il est un assistant, pas un arbitre, ni un garant.
Conclusion
L’intelligence artificielle ne nous sauvera pas de la paresse intellectuelle. Aucune machine ne peut corriger un manque de curiosité, d’honnêteté ou de rigueur. Au contraire, utilisée sans exigence, elle risque de renforcer ces travers — en les habillant d’un vernis technique, en nous donnant l’illusion de savoir alors que nous avons simplement généré du texte.
Oui, ces modèles consomment de l’énergie. Mais ce coût pourrait être justifié s’ils étaient utilisés pour ce qu’ils permettent vraiment : structurer une pensée, interroger un savoir, produire une connaissance plus claire, plus accessible, plus juste. C’est notre usage qui détermine leur légitimité.
Cet article propose quelques exemples de prompts — plus ou moins élaborés, plus ou moins ambitieux, mais un bon prompt ne suffit pas. Ce qui compte, ce n’est pas la formulation de la question : c’est celui qui la pose. Il faut vouloir comprendre. Il faut vouloir être mis à l’épreuve. Il faut accepter que la réponse puisse nous contredire, nous bousculer, nous déstabiliser.
Sans cela, nous perdrons l’un des outils les plus puissants d’interrogation du réel jamais mis à notre disposition. Et avec lui, une chance de diffuser un peu plus largement cette chose fragile et précieuse : la connaissance.
Et si nous perdons ça — alors oui, nous deviendrons collectivement plus ignorants. Mais ce ne sera pas à cause de l’IA. Ce sera parce que, comme toujours, nous aurons refusé de nous servir correctement d’un bon outil.