Les colorants

Microscopie12 min de lecture
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Quand j’ai commencé à me renseigner sur la photomicrographie, il est apparu assez rapidement que les colorants occupaient une place importante dans la préparation des lames. C’est la raison pour laquelle mon “kit de démarrage” comprenait trois colorants (bleu de méthylène, éosine et fuchsine) et un réactif (lugol) parmi les plus faciles d’accès : j’ignorais tout des colorants lors de cet achat, je ne me suis basé que sur leur “popularité”.

Mais la plupart de mes sources d’informations échouaient à répondre à des questions qui me semblaient fondamentales. Des questions auxquelles je vais tenter de répondre dans cet article.

Brève histoire des colorants

Les peintures rupestres sont probablement les plus anciens témoignages de l’utilisation de colorants dans l’histoire humaine. Il est possible que des pigments colorés furent utilisés à même la peau (ce que l’on appelle vulgairement des marques tribales), même avant cela. Les pigments résultaient de techniques d’extractions primitives, notamment le broyage de minéraux ou de végétaux. L’ocre omniprésent des ornementations rupestres provient ainsi essentiellement d’hématite, c’est-à-dire d’oxyde de fer.

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Cheval peint à l’ocre jaune et au bioxyde de manganèse dans la grotte de Lascaux

Les méthodes d’extraction se sont ensuite complexifiées, allant jusqu’à impliquer l’élevage d’insectes comme les cochenilles, dont l’usage remonte de la fin de la préhistoire jusqu’aux civilisations d’Amérique centrale et du sud, spécifiquement les Aztèques, Incas et Mayas. Ces pigments servaient alors à orner les tissus, poteries et autres articles souvent réservés à l’élite des sociétés considérées.

Alors que dans l’Antiquité les colorants étaient principalement utilisés pour colorer artificiellement des onguents — afin de les distinguer — ou, pour certains, pour leurs propriétés thérapeutiques — réelles ou non, c’est à la Renaissance que l’on commença à utiliser les colorants dans un contexte réellement médical, où ils servent alors l’objectif d’analyse visuelle qui nous intéresse aujourd’hui.

Mais c’est lors de la Révolution Industrielle et la conception de colorants synthétiques que l’analyse visuelle connaît vraiment son essor. Si certains colorants ou leurs usages potentiels ont été découverts fortuitement (comme le bleu de méthylène), d’autres ont été adaptés de colorants jusqu’alors utilisés habituellement dans le textile (comme l’hématoxyline), et d’autres encore ont été intentionnellement recherchés (le violet de gentiane). Les colorants de synthèse remplacent alors peu à peu les colorants naturels pour un usage médical, même si certains subsistent encore de nos jours (là encore, comme l’hématoxyline) : ils confèrent encore parfois une coloration plus intense et plus ciblée que les substituts synthétiques actuellement disponibles. Ils présentent néanmoins l’inconvénient d’impliquer une dépendance à une source naturelle à exploiter, végétale ou animale.

Citons enfin les colorants fluorescents, mais dont nous ne parlerons probablement pas sur ce site en raison des contraintes techniques qu’ils impliquent, à savoir l’éclairement de l’échantillon à l’aide d’une source lumineuse ultraviolette qui, mal utilisée, peut entraîner de graves problèmes chez l’observateur, et qui nécessite un microscope adapté. Il est possible de bidouiller son microscope optique pour tenter de vaguement simuler la fluorescence, mais le rapport coût/bénéfice/risques n’est pas intéressant.

Pourquoi utiliser des colorants ?

Un colorant, utilisé en photomicrographie, permet la mise en évidence de certaines structures cellulaires. En théorie, on utilise un colorant parce que l’on souhaite faciliter la découverte de certains éléments que l’on soupçonne exister dans une préparation.

Un exemple concret est la recherche de bactéries dans un échantillon à l’aide de violet de gentiane : c’est la coloration de Gram, mettant en évidence les staphylocoques en violet foncé (Gram positives) ou les salmonelles en rose (Gram négatives). Notons que la coloration de Gram est un processus dans lequel on utilise le violet de gentiane : le colorant est un produit, une coloration est une procédure, parfois complexe, pouvant faire appel à plusieurs produits chimiques, voire plusieurs colorants.

Loin d’être un artifice visuel, le colorant est avant tout un facilitateur pour un usage médical, qui permet à l’observateur d’identifier rapidement la présence de certains éléments spécifiques dans un échantillon donné. Sans colorant, la reconnaissance visuelle sous un microscope peut s’avérer au mieux fastidieuse, au pire trompeuse. On comprend dès lors leur intérêt fondamental en médecine.

Dans un cadre moins formel, le gain de contraste offert par les colorants permet d’améliorer certaines prises de vue pouvant paraître fades. Parfaitement maîtrisés, ils peuvent donc permettre d’ériger la photomicrographie en art visuel, apportant la sublimation à la beauté intrinsèque de la Nature.

Comment fonctionne un colorant ?

Un colorant (par opposition à un réactif) n’a pas besoin d’une réaction chimique pour colorer une substance : un colorant ne crée pas un nouveau complexe provoquant la coloration. Ses chromophores vont se fixer à une structure, notamment en raison de l’affinité de leur pH : un colorant plutôt acide va se fixer plus facilement sur une structure basique et inversement.

Le bleu de méthylène étant basique, il aura tendance à se fixer sur des molécules acides (acidophiles), par exemple les noyaux de cellules puisqu’ils contiennent de l’ADN et de l’ARN (A = Acide).

Inversement, l’éosine est un colorant acide qui va donc avoir une affinité particulière avec des composants basiques (basophiles) tels que les protéines cytoplasmiques.

Cette fixation va mettre en évidence ces structures, autrement dit améliorer leur contraste par rapport au reste de l’environnement observé. On notera que certaines techniques de coloration font appel à la fois à des colorants acides et des colorants basiques.

On peut trouver des colorants d’une certaine couleur (bleu, rouge, vert, etc.) déclinés en solutions acides ou basiques. Ainsi, si l’on souhaite colorer en bleu des cytoplasmes, ou des noyaux de cellules en rouge, il suffit de s’orienter vers un colorant bleu acide (respectivement, rouge basique). On évitera donc le bleu de méthylène (qui est basique) ou l’éosine (qui est acide) dans ce cas : on choisira plutôt le bleu d’aniline (respectivement, la fuchsine basique).

Le pH est le facteur le plus pratique à utiliser pour déterminer quel colorant utiliser dans certaines circonstances, mais ce n’est pas le seul. Les interactions électrostatiques peuvent également intervenir dans l’effet d’un colorant sur une substance : les membranes cellulaires, riches en phospholipides, portent une charge négative en raison des groupes phosphate. Le bleu de méthylène peut donc se lier à ces membranes.

En outre, citons la force de Van der Walls qui a aussi son importance. Mais au final, avec les colorants modernes et dans des cas généraux, on pourra se contenter de s’intéresser au pH du colorant et de la substance recherchée ou observée.

Qu’est-ce qu’un réactif ?

Autre substance qui revient assez souvent : le lugol, qui est un réactif et non un colorant au sens premier du terme ; il pénètre la structure hélicoïdale de l’amylose qui compose l’amidon. L’iodine fixé dans cette spirale modifie la configuration électronique de l’ensemble, formant un complexe provoquant l’absorption de la lumière, causant finalement une coloration typique bleu-noir.

En règle générale, un réactif a été créé dans un but particulier (réagir avec un composé spécifique) et son usage en tant que “colorant” profite de cette réaction. Un réactif présente l’avantage de réagir avec une substance spécifique (par exemple, donc, le lugol avec l’amylose de l’amidon). Cette réaction peut produire un nouveau composé, altérer la substance ou produire une précipitation qui se traduira éventuellement (mais ce n’est pas systématique) par une coloration spécifique.

Le rôle principal d’un réactif est chimique et non visuel : la coloration est une conséquence fortuite et non systématique de la réaction. Mais lorsqu’une coloration est présente, elle est caractérisée par sa grande spécificité. De fait, utiliser un réactif comme colorant peut se révéler d’une grande précision, trop grande pour un usage à l’aveuglette.

Comment choisir ses colorants ou ses techniques de coloration ?

Je supposais naïvement, avant l’écriture de cet article et même encore après l’achat de mes premiers colorants, qu’il suffisait d’ajouter une goutte pour rendre n’importe quelle observation plus “attrayante”, non sans une certaine logique.

Dans un cadre médical, un échantillon est aussi pur que possible, et on sait ce que l’on cherche : on sait donc quelles colorations utiliser. Dans une observation d’hobbyiste, notre échantillon peut être constitué de beaucoup de substances différentes et nous n’avons pas forcément l’intention de mettre en évidence l’une d’entre elles en particulier.

En photomicrographie, on peut se permettre de faire preuve de créativité, et d’expérimenter sans attendre un résultat spécifique. C’est un luxe que la médecine ne peut se permettre. En conséquence, je dirais que, tant que l’on comprend comment fonctionnent les colorants, que l’on dispose d’une certaine culture de base à leur sujet — y compris et surtout les règles de manipulation applicable à chaque produit — il faut expérimenter.

On retiendra essentiellement que les techniques de coloration relativement complexes (qui font appel à d’autres produits chimiques, parfois dangereux à manipuler) servent des objectifs bien précis, et impliquent généralement la recherche de composés potentiellement dangereux pour la santé. Si vous en êtes à vouloir activement observer des bacilles tuberculeux sur un échantillon préparé dans ce sens, vous devriez peut-être vous orienter vers des études sérieuses au lieu de faire ça sur un coin de table 😉

À ce stade — précoce — de mon “apprentissage” de la photomicrographie, j’ai envie de suggérer de s’équiper de ce qui se vend. Si on trouve un revendeur qui propose des produits à faible coût (5€ un flacon de 10ml de colorant), il y a des chances que ce soit un produit largement utilisé. Un colorant valant plus de 20€ est probablement un colorant complexe pour lequel un simple hobbyiste ne trouvera pas d’usage.

Est-ce que les colorants présentent des risques ?

Oui.

Comme d’habitude : il faut bien lire les étiquettes sur les produits et se référer à la Wikipédia pour comprendre les codes apposés sur ces étiquettes.

Outre le risque de taches permanentes sur les vêtements et les surfaces, on parle tout de même de substances qui sont parfois dangereuses pour la Vie elle-même, à des niveaux plus ou moins élevés. Le bleu de méthylène, par exemple, est considéré comme corrosif et irritant.

Je ne suis pas la bonne personne pour prodiguer des conseils de bonne utilisation de produits chimiques, alors je vous renvoie vers les sites suivants :

Le fabricant est tenu d’apposer des étiquettes conformes et de fournir une notice appropriée.

Mais outre les risques personnels, il faut prendre en considération que, colorants ou fixateurs, l’utilisation de ces produits sur un échantillon l’altère. On évitera de s’en servir pour observer un échantillon vivant : c’est évident pour les fixateurs (qui vont tuer les organismes), mais cela peut aussi être vrai pour les colorants.

Faut-il utiliser systématiquement des colorants ?

Non, à cause de la question précédente.

On pourra utiliser des colorants sur des préparations que l’on voudra rendre permanentes. Il reste possible d’utiliser des colorants typiques sur des échantillons vivants, à condition qu’ils soient très dilués (ce qui réduit d’autant leur intérêt) et que le temps d’exposition soit assez court (c’est-à-dire, que l’on procède à l’observation le plus rapidement possible après application). En fin de compte, pour une observation en temps réel, par exemple d’organismes vivants dans une goutte d’eau, on s’abstiendra d’ajouter tout produit chimique.

Je garde en tête deux cas d’usage pour les colorants dans le contexte d’un hobby :

  • pour un effet “artistique” (reconnaissons que, outre l’aspect scientifique, certaines observations peuvent simplement être magnifiques)
  • pour la mise en évidence de structures particulières, comme on l’a déjà mentionné, ce qui implique que l’on sait ce que l’on s’apprête à observer, et ce que l’on veut montrer

Quelles sont les erreurs à éviter ?

  1. Trop de colorant, c’est trop !

    • Appliquer une quantité excessive de colorant peut masquer les détails fins de l’échantillon. Une lame sursaturée ressemble souvent plus à une peinture qu’à une observation scientifique.
      Astuce : commencez par des concentrations faibles et ajustez si nécessaire.
  2. Oublier de rincer après la coloration

    • Certains colorants, comme le bleu de méthylène ou l’éosine, peuvent rester dans le milieu si vous ne rincez pas correctement. Résultat ? Votre lame entière se colore et devient illisible.
      Astuce : après chaque coloration, rincez doucement avec de l’eau distillée ou une solution tampon.
  3. Sous-estimer l’importance du temps

    • Laisser un colorant trop longtemps sur un échantillon peut causer une surcoloration ou une dégradation des structures. Inversement, une coloration trop courte peut rendre les structures invisibles.
      Astuce : chronométrez chaque étape pour trouver le juste milieu.
  4. Confondre les colorants et les réactifs

    • Certains réactifs, comme le Lugol, ne fonctionnent pas comme des colorants classiques. Ils réagissent chimiquement avec des molécules spécifiques. Si vous les utilisez sans réflexion, vous pourriez obtenir des résultats inattendus, voire endommager l’échantillon.
  5. Mélanger sans réfléchir

    • Combiner des colorants ou réactifs sans savoir comment ils interagissent peut produire des couleurs imprévues ou des précipitations qui obstruent l’échantillon.
      Astuce : testez les combinaisons sur des échantillons non précieux avant d’expérimenter sur une lame importante.
  6. Ignorer les consignes de sécurité

    • Beaucoup de colorants sont toxiques, irritants ou difficiles à nettoyer. Oublier vos gants ou travailler sans ventilation peut transformer une simple coloration en problème de santé ou en désastre domestique.
      Astuce : portez des gants et travaillez dans un espace bien ventilé.
  7. Utiliser un échantillon mal préparé

    • Un échantillon mal fixé, mal nettoyé ou mal réparti sur la lame peut rendre la coloration inutile. Si vous observez une couche trop épaisse ou un amas de cellules, recommencez la préparation.
  8. Confondre la cible avec l’arrière-plan

    • Il peut être tentant de chercher des détails dans les zones colorées les plus intenses, mais souvenez-vous : ce sont les structures biologiques que vous voulez observer, pas le surplus de colorant mal rincé.

Le maître mot : expérimentation

Je dis souvent : “La meilleure source d’apprentissage est l’expérience”. Avec un peu de méthode et d’organisation, la question : “Quels colorants dois-je me procurer ?” se simplifie. On ne cherche plus quels colorants utiliser, on cherche les colorants ayant le meilleur rendu visuel, puisque c’est de cela dont il s’agit dans notre contexte. On peut donc prendre les colorants qui nous inspirent, quitte à les compléter par la suite.

Si, comme moi, vous disposez de trois colorants et un réactif, préparez plusieurs lames, et consignez vos observations :

  • une lame sans produit chimique (la lame témoin)
  • quatre lames, une pour chaque colorant, et une pour le réactif seul
  • quelques lames avec différentes combinaisons

Notons qu’en fonction des produits utilisés, leur combinaison sur la même lame peut présenter des risques. Outre perdre l’échantillon qui peut être détruit, certains composés peuvent se révéler toxiques ou dangereux pour le manipulateur. J’insiste encore une fois sur la lecture des fiches ou des étiquettes sur chaque produit, y compris en ce qui concerne l’élimination des déchets.

D’ailleurs, c’est une excellente occasion pour mettre en place un journal d’observation : cela peut aller d’un simple cahier à un document informatique, où l’on consigne chaque préparation en mentionnant les produits utilisés aussi bien que les sources des échantillons, chaque observation (y compris le grossissement et, pourquoi pas, les coordonnées indiquées sur la platine du microscope) et chaque interprétation.

Nous verrons dans un prochain article comment préparer une lame, avec et sans colorant.